Samedi 07 octobre 2023, 246e jour d’après: 08 juin 2024
569 jours d'Alyah et 246 jours de guerre
Cela fait 569 jours que nous sommes en Israel, que nous sommes montés, que nous avons fait un retour à Sion selon les expressions religieuses ou sionistes. Nous avons vécu 202 jours de manifestations, de contestations, d'une réforme que en tant que jeune Olé nous avons pensé dangereuse pour la démocratie. Nous avons samedi soir après samedi soir arpenté le boulevard Kaplan, brandissant le drapeau bleu et blanc en signe d'adhésion à un Israël que nous avons choisi, à un idéal que nous souhaitions pour la société dans laquelle nous avons décidé de vivre à l'aube de notre existence. Nous avons communié avec les anciens, les israéliens de souche qui marchaient près de l'agence juive et du portrait de Hertzl tout en écoutant les voix de Ben Gurion lisant la déclaration d'indépendance. Nous ne pensions pas, en arrivant ce 17 novembre 2022, retrouver les marches de contestation de notre adolescence et en même temps nous nous sommes sentis si proches de ces marcheurs jeunes et moins jeunes. Mais le choc de cette protestation n'était qu'un prémisse de ce qui nous attendait dans le bouleversement de ce qui allait survenir dans le pays que nous avions choisi pour renaitre à de nouvelles perspectives. Nous n'avions nullement présagé que le tragique allait survenir, allait bouleverser tous nos doutes et relativiser tout ce qui fait les détails de la vie quotidienne.
Le 07 octobre est arrivé nous renvoyant dans le sinistre de l'histoire du peuple juif, dans les limbes de notre histoire familiale, des shtetls de nos aïeux quand les pogromistes massacraient, dévastaient les villages juifs. Nous avions choisi Israël pour y vivre libres et le projet de réforme nous inquiétait; nous avions choisi de vivre en Israel pour ne plus connaitre l'antisémitisme ainsi que nous avait dit ma chère tante Tania avant notre départ! Elle qui avait connu la Shoah, son père déporté, abandonnée par sa mère pour sa survie; elle qui portait le poids de l'écorchée juive, elle était rassurée de voir son neveu choisir le refuge protégé d'Israel.
Nous n'en sommes pas resté à seulement ces deux tragiques chocs, le deuxième , le 07 octobre effaçant le premier, le rendant dérisoire et anecdotique. Le tragique appelle le tragique et son déroulé historique prenait un chemin inexorable, exponentiel vers le pire. De jour en jour le besoin s'est imposé à moi d'écrire ce qui se passait dans notre quotidien, un besoin irrépressible de comprendre le pourquoi du pire, de trouver les mots pour décrire l'avant et l'après. Car il y a un avant et un après le 07 octobre et un présent du 07 octobre qui ne s'effacent pas de nos pensées quotidiennes. L'avant et ses assurances idéologiques s'effondraient petit à petit pour faire place aux doutes, aux émotions, aux pleurs et il faut beaucoup de force pour ne pas céder à une pulsion négative de désespoir.
A cause de l'impéritie des gouvernants israéliens le refuge protégé cher à ma tante n'en était plus un, on pouvait tuer des juifs comme au temps des tsars. les mêmes horreurs indescriptibles avaient été commises sur le sol d'Israël. Le 07 octobre loin de révéler au monde l'idéologie mortifère des islamistes a fait ressurgir des tréfonds de l'âme des peuples, de ce ventre fécond d'ou la bête était tapie ce que nous pensions être en phase terminale. Wilhelm Marr (Wilhelm_Marr) au XIXe siècle avait inventé un terme pour raciser les juifs et expliquer scientifiquement leur rejet remplaçant la judéophobie et l'antijudaisme; ce terme d'antisémitisme, ce n'était pas ce qui animait les tueurs, ce n'était pas non plus un antagonisme nationaliste qui les habitait mais un anti-judaisme ancestral. Et alors notre troisième choc arriva de voir le monde se détourner d'israël et des juifs.
Une question lancinante nous semblait enfouie dans un passé que nous n'avions pas vécu. Cette question: pourquoi la haine du juif ? Mais n'est-ce pas paradoxal que ce soient les victimes de cette haine, de ce rejet qui essaient de comprendre les ressorts de ceux qui sont habités par cette haine? sans doute parce que eux ne le savent sûrement pas !
Ce troisième choc de voir monter inexorablement dans notre patrie de naissance les actes et propos antisémites nous déstabilise, nous avions pensé que devenir israélien nous exonérait à jamais du questionnement de l'être juif. En se posant la question du pourquoi de la haine anti- juive, le pourquoi de l'être juif faisait retour à Sion même.
Dans le Juif imaginaire Alain Finkielkraut nous dit: J’ai divorcé d’avec mon double, non pas pour cesser d’être juif, mais pour que cette identité ne fasse plus de moi le rentier de la souffrance, ou le dépositaire attitré de la justice absolue. Juif, oui, mais Juif déficitaire. J'étais ce juif déficitaire qui grâce à l'alyah avait résolu ce dilemme du déficit en "l'israélisant". Mais le déficit au sens de manque, d'insuffisance nous est revenu en boomerang le 07 octobre. Le double, rentier de la souffrance nous habitait à tout jamais et le déficit était à combler, le juif était de retour s'ajoutant à l'israélien et rejetant dans les poubelles de l'histoire la vaine tentative française du tout en tant que citoyen et rien en tant que nation (1), l'israélite français est mort et enterré, ne reste en France que des juifs et des sionistes, les deux étant à ce jour synonymes. Nous redevenons et nos enfants et petits enfants des rentiers de la souffrance du 07 octobre et de l'antisémitisme et de la judéophobie persistante.
Nous avons écouté Jean Claude Milner lors de ce rassemblement organisé par Bernard Henry Levy le 03 juin. Il nous a expliqué l'antisémitisme d'entendement élaboré rationnellement, "scientifiquement" décrivant le juif comme une race, un peuple nocif pour les autres. Cette idéologie atteignant son acmé avec la Shoah et régressant progressivement par l'éducation et le travail de mémoire; à coté de cet antisémitisme d'entendement existe ce qu'il appelle une judéophobie de passion qui comme l'indique son nom n'a rien de rationnelle, d'élaborée. Cette judéophobie de passion subsiste dans les inconscients collectifs des sociétés chrétiennes et musulmanes. Selon C.G.Jung l’inconscient collectif familial, ethnique et culturel primordial est un réservoir d’énergies psychiques oû se trouvent les archétypes qui peuvent se définir comme une structure vide servant de matrice virtuelle génératrice de représentations de certains types d’images, d’idées, d’émotions, ou de comportements(3).
Le rejet de l'origine entretenu par des dogmes à visée universaliste, des textes non remaniés appelant à la mort des juifs et des mécréants entretiennent cette passion achétypale. Les nouvelles religions que furent la chrétienté et l'islam batties sur leurs prédécesseurs juifs... n'acceptent pas d'être des débiteurs... d'être des secondes mains...et demandent (tout du moins pour l'islam) d'être acceptées comme la révélation absolue. *
Quand se rencontrent l'antisémitisme d'entendement (qui aujourd'hui revêt les habits de l'anti-sionisme) et la judéophobie de passion qui surgit des profondeurs des inconscients collectifs le déferlement de haine survient réactivant ce qui ne meurt jamais, et ne mourra jamais: le rejet du juif. Mais alors que j'écris, les gardiens d'Israel veillent et Noa, Almog, Andrey,et Shlomi viennent d'être libérés par Tsahal. Un léger espoir renait.
(2)Christopher Hitchens, God is not great, 2007.
(3) Teodrami, Massimo. Synchronicité : Le rapport entre physique et psyché de Pauli et Jung à Chopra (Science et Connaissance
Aujourd'hui, concentrons nous sur les sourires des familles de nos otages libérées. Concentrons nous sur le sourire de notre héros Arnon z"l, fermons nos oreilles aux bruits parasites du monde. Au moins pour quelques heures. עם ישראל חי
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