Samedi 07 octobre 2023, 479e jour d’après: 28 janvier  2025

Au lendemain de la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz, 80 ans, ici en Israel , j'ai senti le besoin de remettre à jour ce texte écrit en 2012 après un voyage de mémoire. aujourd'hui Ce texte est en hommage à notre ami Victor Perahia qui était à nos cotés alors. il n'est plus avec nous, il a rejoint ses parents dans l'au delà et nous pensons très fort à lui. 


photo: Mémorial de la Shoah 

Pourquoi un voyage à Auschwitz !
 
Revenir sur les échos du silence prend du temps, rendre concret administrativement la démarche est pénible ; l’attente avant le voyage habite les jours et les nuits.
Le voyage n’a pas pour destination la Pologne mais Auschwitz.  
Accompagnés de nos épouses et de quelques amis, nous sommes partis tôt le matin pour une journée difficile au niveau émotionnel, ravivant pour l’un de nous des plaies à jamais ouvertes, pour d’autres des blessures intergénérationnelles, et pour nous tous le besoin de voir ce qui reste impensable à l’entendement humain.
Raphaël ESRAIL, Président de l’Union des Déportés a témoigné tout au long de la journée, racontant l’horreur de la déportation.
Notre guide polonais nous décrivant pas à pas la machine de mort mise en place par les nazis, son discours direct, précis nous replaçait les lieux dans la réalité des crimes.
Notre visite a commencé par le site d’Auschwitz.
Après avoir franchi le portique « Arbeit macht Frei », passé devant l’orchestre accueillant les déportés, nous avons visité le musée installé dans les blocs de brique rouge encore en place.
De pièce en pièce, vitrine après vitrine, nous avons découvert l’horreur, l’entassement des chaussures, des boîtes de zyklon B, des objets de vie, des valises portant des noms révélaient à notre conscience que derrière toute la connaissance que des films, des livres nous avaient apportée, tout ce savoir n’était qu’abstraction.
Nous sommes ensuite, l’un derrière l’autre, entrés dans les sous-sols près de l’infirmerie, antichambres de l’exécution, là où des déportés attendaient après un jugement expéditif.
Dans des cellules sans lumière, où les hommes ne pouvaient se tenir que debout, ils attendaient la mort délivrance.
Là, dans la cour près des potences sur lesquels les hommes pendaient les bras derrière le dos, nous nous sommes approchés du mur et nous leur avons rendu hommage à l’écoute de Raphael Esrael.
Nous avons vu le seul four crématoire encore en place.
Nous sommes ressortis du camp, passés devant la potence où, R. Höss, commandant en chef du camp a été exécuté par pendaison le 16 avril 1947.
Notre journée n’en était qu’à son milieu, la pause déjeuner terminée, nous avons repris le car pour Birkenau.
Auschwitz était derrière nous et nous entrions dans la sauvagerie, la sauvagerie industrielle.
Nous avons vu ce portique où les trains arrivaient, les rails qui pénétraient jusqu’aux chambres à gaz, jusqu’au bout de la mort.
De l’ancienne caserne polonaise du matin nous entrions dans un endroit à perte de vue structuré pour la mort.
A ce stade du récit de la journée, pardonnez-moi, je suis incapable de descriptions chronologiques.
Parce que tous,  nous sommes entrés dans le cœur du mal, dans la radicalité des chambres à gaz ,dans une usine fabriquant des morts de manière industrielle, organisée, méthodique, planifiée administrativement.
Nous sommes entrés dans la réalité humaine et les émotions, la charge des ressentis nous ont fait basculer dans un après, un après cette journée où nous ne serons plus jamais comme avant.
L’herbe est verte, le ciel est bleu, les oiseaux gazouillent, nos regards font le lien entre le noir et blanc de photos d’archives et la couleur du lieu.
Pas de cris, pas de boue, pas de chiens, pas de froid, pas de neige, pas de rats, pas d’odeur d’hommes brulés.
La mort a abandonné le camp mais les morts sont là autour de nous, sous nos pas, sur les châlits de bois, près du faible poêle, à la descente des trains, à la sélection, au marquage, aux douches quelque soit l’endroit où se porte notre regard.
Nous baissons les yeux et elle est toujours là.
A écouter les témoins, il y a pourtant pire que la mort : la vie ; ici, vivre, était pire que de mourir.
Là nous regardons les fils de fer barbelés et nous voyons des hommes s’y précipiter, ils ne se suicident pas, ils se libèrent.
Rien que des ruines de blocs alignés et des groupes, des groupes suivant leurs guides polonais.
Des jeunes assis près de la « juden ramp » parlant, riant à leur jeunesse et leur insouciance.
Ils sont assis sur des morts sous l’herbe de leur présent.
Des photos en noir et blanc témoignent des lieux, là où nous sommes, devant les mêmes bâtiments.
Nous sommes là, au bout des rails, là où les femmes, les enfants, les vieillards ne connaitront pas la souffrance de vivre parce que la sélection a choisi de les tuer comme des rats et de les bruler.
Des étables faites pour 52 chevaux, où l’on a entassé entre 400 et 800 hommes ou femmes ; nous sommes là. 
Des châlits de 2 mètres au carré où dorment 10 êtres humains décharnés qui se chauffent l’un contre l’autre, nous sommes là.
Nous avons été là où les latrines, là où les fosses, là où les fours, là où le train, là où les femmes, là où la sélection, la où le marquage, là où les corps brulent.
Nous avons été là où des sonderkommandos se sont révoltés et on fait sauter le four crématoire.
Là où les forêts crient des voix des femmes et des enfants, nous avons été là.
Là où dieu n’existe plus sauf pour invoquer son aide,…pour mourir
Dieu est mort là, l’homme est mort là et nous sommes dans son cimetière.
Le monde juif est mort, là dans les camps, pour les juifs le monde est mort là, l’histoire du monde s’est arrêtée là.
Et puis au milieu d’un débris de briques de crématorium où l’on brulait l’humanité, du bleu et blanc se recueillent et crient au monde : Israël, peuple, vivra.
Là, nous nous joignons à une chaîne d’union, rendant la visite à un chant d’espoir.
Devant l’étang noir de cendres où l’on jetait les restes de corps, là nous avons prié.
Des gerbes de fleurs ont accompagné des kaddish pour nos frères dont les âmes peuplent les bouleaux au dessus de nos têtes.
Nous avons fait silence autour de l’eau.
Et puis les mots de mon ami rescapé, qu’il me pardonne si je vous les livre, après le kaddish pour ses parents : « cela m’a fait du bien ».
Nous avons repris dans la nuit de fantôme le chemin du retour.
Le long des barbelés, à deux cents, trois cents mètres, les maisons s’éclairent de vie.
Mais pourquoi venir, pourquoi là, pourquoi nous tous, avons nous fait le voyage ?
Devoir de mémoire dit-on mais quel est le sens de ce devoir ?
Les morts, là à Birkenau, nous ont-ils demandé de venir ?
Pour mettre notre conscience d’humain en ordre ? 
Mais dans quel but, des millions d’âmes sont en cendres dans l’étang ?
Aucune bonne conscience ne leur donnera une sépulture.
Pour voir, pour comprendre…
Nous n’avons pas vu, nous n’avons pas compris…
L’homme ne peut voir, ne peut comprendre, il n’y a rien à comprendre. L’esprit humain ne comprend pas l’incompréhensible.
Mes amisnous avons plongé là à Birkenau dans le cabinet de réflexion où l’humanité est morte.
C’est là  que chaque homme, devrait se rendre pour réinventer l’humanité détruite. Le Tikun olam juif, la réparation du monde, le perfectionnement de chacun, l’homme nouveau, le temple de paix est à construire sur les débris des crématoriums.
Auschwitz n’est pas le passé, c’est l’avenir, c’est l’avenir que nous avons à changer, parce que si l’homme est laissé à son naturel, la bête reviendra.
Gémissons mais espérons…
Mais qu’il est dur d’espérer après ce voyage.
Quelques uns ont ramassé une pierre, elle reste à polir pour faire corps avec celle de son frère d’humanité.
Là où nous sommes allés, on a tué un million et demi d’être humains.
Certains d’entre nous étaient venus sur les traces de leurs aïeux.
Nous étions tous venus pour honorer la mémoire des disparus
Je conclurai par cette phrase de Sylvie Germain « fixer à jamais cette pleurante serait ténèbres pour le cœur à jamais ; comment en effet contempler l’absolu nudité des douleurs humaines sans mourir à soi même ? ».
Un ami a appelé ce voyage pèlerinage, on pourrait l’appeler voyage de mémoire, de recueillement, de connaissance historique, voyage au cœur du mal ; j’y vois personnellement un voyage initiatique indispensable à tous ceux qui travaillent au perfectionnement de l’humanité pour mourir à soi même et renaitre après avoir reçu la connaissance.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 
 
 
 
 
 

 

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