Des funérailles françaises 


C'était lundi dernier , sur la scène de notre cours de théâtre je montais sur scène et lisais ce texte en rapport avec le thème de la pièce que nous préparons sur  Victor Hugo. 

"Victor Hugo, l’homme siècle 

Le temps est beau et chaud en ce premier jour du mois de juin 1885, la république toute naissante a décidé d’organiser des funérailles nationales pour celui qui fut royaliste au départ de sa vie d’homme puis défenseur acharné de la démocratie naissante. Il va recevoir l’hommage de cette troisième du nom, qui a tant besoin d’assise populaire 

La France rend hommage au poète, à l’écrivain, au républicain, au laïc, au combattant de la misère, au défenseur des pauvres et des opprimés, à l’opposant de la peine de mort, à la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

 Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu

Le déjà artisan de la laïcité balbutiante n’aura pas de cérémonie religieuse, Notre Dame de Paris ne l’honorera pas ; les chimères, les gargouilles élancées sur la façade comme un défi à Dieu ne verront pas le poète dans l’antre de la cathédrale. Les fantômes  de Quasimodo et d’Esmeralda de loin verseront des larmes pour leur créateur.   

Nous sommes un lundi, les écoles et les théâtres sont fermés, le jour n’est pas férié par crainte des manifestations d’ouvriers, les drapeaux rouges sont interdits dans les rues de Paris et le cortège évitera les quartiers populaires.

Celui qui a commencé la mort par la solitude a rendu son dernier souffle  le 22 mai au 50 de  la rue qui porte déjà son nom depuis 1881. Il ne sera pas inhumé au Père Lachaise dans le caveau familial, dans ce cimetière non loin du mur des fédérés où la mitraille de Thiers a fusillé les derniers communards ; ces communards que Victor Hugo a défendus en demandant en vain  leur amnistie dès 1876, celle-ci ne leur sera accordée finalement qu’en 1880.

L’Arc de Triomphe, érigé par Napoléon 1e le grand au contraire du petit ainsi que  Victor Hugo nomma Napoléon III, est voilé de noir, un catafalque de 22 mètres de haut dessiné par Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra a été dressé sous l’arche. Le corps de Victor Hugo repose devant ce qui a été conçu en forme d’urne et d’encrier. Il est  veillé toute la nuit du 31 Mai  par des millions de français. 

Le lendemain le corbillard des pauvres avec le corps du poète descend la plus belle avenue du monde, passe par la concorde là où la grande veuve fit son œuvre macabre pendant la terreur. Il passe devant l’Assemblée nationale là où l’homme politique a tant siégé puis descend le boulevard St Germain, un regard sur Notre Dame qu’il a si bien contée : cette vaste symphonie en pierre.... Produit prestigieux de la cotisation de toute de toutes les forces d’une époque. Puis il arrive vers 19h, au Panthéon le temple de la république désacralisé depuis le 28 mai pour l’occasion, dans ce qui, au départ a été pensé par Louis XV pour être une église.  

Près de deux millions de personnes suivent Victor Hugo jusqu’à cette dernière demeure des grands hommes envers qui la patrie est reconnaissante. Tout se passe paisiblement sans heurts, avec même des réjouissances de ci de là.

Voltaire, Rousseau, les lumières du 18e siècle l’attendent en cette fin de 19e  siècle. Ils entendent la foule honorer l’Homme Siècle, l’Homme Océan. La grandeur de l’homme ne se mesure pas seulement à  cet hommage posthume, il a diffusé la musique éclairante de sa langue, ses vers ont rayonné dans toutes les âmes, épris de liberté, de fraternité et d’égalité, dans les cœurs de ceux qui aiment, aspirent à vivre libres et sans entraves. Il repose depuis ce jour mémorable dans le  Caveau XXIV avec ce sentiment océanique décrit si bien par Romain Rolland. Il est pour l’éternité  aux côtés d’Émile Zola et d’Alexandre Dumas ; ensemble ils écrivent encore en nous cette culture française universaliste qui nous enchante et berce notre vie à jamais" 

Et une émotion est montée du centre  vers la parole pendant cette lecture, mais pourquoi donc m'interrogea Cécile ?  pourquoi ? 

Etait- ce l'enterrement du grand homme mort il ya 140 ans qui avait provoqué ce frémissement inhabituel dans l'élocution  ?

Etait-ce une émotion partagée avec les deux millions de français lui rendant hommage? 

Etait-ce la vision de ce  corbillard des pauvres descendant les Champs- Elysées là où les âmes vertueuses romaines séjournaient ?  

Comme souvent, comme toujours, Gad Michel Wolkowicz nous donne des réponses, des pistes de compréhension de nos traumas individuels et collectifs:  https://youtu.be/RcrGLosd1uY

Quelle était cette étrange étrangeté qui me bouleversait alors dans une lecture d'un texte  si important à écrire et à transmettre?

Il s'agissait d'une autre mort, d'un autre hommage , d'une autre vison, d'une autre mise en terre!

Il s'agissait d'une continuité du tragique de la condition juive et d'une illusion transitoire qui avait descendu ces Champs- Elysées vers cette place de la concorde anciennement place de la révolution, là ou la guillotine coupait les têtes de l'ancien monde. 

Il s'agissait en effet d'une mort, d'une vision  qui après une éruption de lumière sur le monde s'écrasait dans les ténèbres dans une inhumation collective.

Dans mon texte à propos  de l'hommage posthume à Victor Hugo j'énumérai sans en avoir conscience toute  notre vie d'avant le 07 octobre,  tout y passait: la république française et ses valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité; la laïcité française, l'école égalitaire formant des citoyens libres et pensants; les intellectuels s'engageant pour des justes causes. Bref cet universalisme qui éclairait le monde né des lumières de l'Encyclopédie et qui avait donné la déclaration des droits de l'homme et la citoyenneté aux juifs de France. 

Cette  émotion qui s'emparait de moi, c'était le constat d'un monde  qui s'écroulait. Je ne pleurais pas Hugo, je pleurais la France d'Hugo, ma France.

Cette étrange étrangeté qui vient des tréfonds c'est la perte qui surgit du lointain identitaire et révèle  les illusions bâties sur des sables mouvants dans lesquels les racines ne prennent pas. 

De quelle mort s'agit il ?  Gad Michel Wolkowicz l'a si bien définie : c'est l'universalisme dans l'indifférenciation qu'avait inventé la révolution des lumières et qui s'est fracassé sur le réel. Il le précise, cet universalisme dans l'indifférenciation qui n'est rien du tout, c'est la  confusion.

Le 07 octobre nous a ramenés à notre singularité faisant le deuil de cet universalisme mort et enterré dans cette confusion des genres, des identités éclatées dans l'indifférenciation générale et l'antisémitisme qui rejette notre unicité. 

Gad Michel Wolkowicz conclut pour un avenir personnel et collectif juif dans un  devenir singulier qui  peut avoir une vocation universelle.

Merci Hugo de m'avoir donné cette nouvelle tache de redevenir singulier. Le salut n'est plus dans l'universalisme mais dans la singularité. 





Commentaires

  1. Quel beau texte et pour le commentaire, hélas il n y a pas qu ici , en France, je le crains, que nous soyons en train de vivre le retour des barbares!
    Quelle tristesse!

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