Samedi 07 Octobre , 633e jour  d'après: 17 juin 2025



Le 17 novembre 2022 nous avons fait notre Alyah en Israel  où nous pensions couler des jours paisibles , au soleil, au bord de la mer. La famille en grande partie réunie, nous avons laissé nos amis en France projetant de temps en temps de les retrouver à l'occasion de voyages. Personne ne pouvait prévoir ce qui allait nous arriver les mois suivants. Notre situation est en tout point privilégiée mais à aucun moment, au fur et à mesure de l'augmentation de la gravité sécuritaire, nous n'avons émis le moindre doute sur où était et où est notre place. Dans les discussions avec nos amis français, souvent les analyses géopolitiques prennent le dessus sur les ressentis non pas par fuite mais par protection de chacun. Ce blog est un moyen expiatoire d'exprimer les ressentis de la vie quotidienne en tant que citoyen israélien. La guerre n'est plus un concept lointain que l'on trouve dans les livres d'histoire, elle nous pénètre au quotidien. Nous ne partons pas en période militaire, nous avons une chambre de sécurité dans l'appartement, nous n'habitons pas au Sud ni au nord. La guerre pourtant s'immisce en nous par notre petit fils qui a fini son armée et qui est prolongé de quatre mois, par le deuxième qui part en août, par les addictions aux informations , par les nouvelles des jeunes qui meurent à Gaza,  par les otages qui souffrent dans les tunnels du Hamas, et maintenant par la guerre avec l'Iran. Chaque étape de cette guerre nous amène une surcharge émotionnelle supplémentaire avec laquelle il faut vivre. D'alerte en alerte depuis dix jours, les nuits se font de plus en plus courtes, les explosions de plus en plus violentes autours de la chambre de sécurité. Les nouvelles des morts de la nuit à quelques pas nous réveillent chaque matin. Les activités quotidiennes parfois ou souvent excessives pour combler la surcharge émotionnelle ont cessé depuis: plus de conférence, plus de débat entre amis, plus d'oulpan, plus de réunion philosophique, plus de restaurant, plus de réunion entre amis, plus de ballade en vélos. Nous vivons dans une sorte de confinement de guerre  en attente de la prochaine alerte qui nous préviendra 15 minutes avant les missiles venant d'Iran, puis nous rentrons dans la chambre de sécurité, les yeux rivés sur le téléphone , à l'écoute des explosions qui deviennent de plus en plus fortes. Je n'arrive plus à compter le nombre de fois où nous sommes rentrés dans cette chambre de sécurité depuis 633 jours. 
Alors comme un moment de répit jeudi dernier j'ai évoqué par zoom un voyage poético-psychanalytique effectué sur les pas de Carl Gustave Jung. le voici:


Mars 2017, levé à l’aube puis après quelques heures de voyage en avion et en train, je rencontre l’exactitude suisse. Les gares se succèdent avec changement de train et de plates formes, de Zurich à Schmerikon. La campagne défile, le soleil est là, la neige commence à fuir les sols en quittant Zurich puis se fait à nouveau présente au fur et à mesure du voyage. Au loin les montagnes apparaissent. Assis sur des sièges de tissu bleu, j’apprécie le silence et la propreté des wagons. Un contrôleur vient me troubler dans la lecture de la carte du Voralpen-Express qui relie la Suisse orientale et la Suisse centrale. Ce train va de Lucerne à St-Gall, Il passe par Küsnacht et Rapperswil, c’est entre Rapperswil et Schmerikon que je me rends sur les bords du lac d’Obersee. Küsnacht est la ville de résidence de CGJ, je ne m’y rendrai pas, voir le lieu où il habitait ne me tente pas, je ne suis pas venu pour aller dans les pas d’un homme célèbre mais dans ceux de sa pensée. Cette idée de voyage avait germé il y a quelques mois pour l’élaboration d’un travail. Avant de vous le raconter, évoquons les hommes qui y sont en arrière-plan. 



Photo prise en septembre 1909 devant la Clark University lors du premier voyage de Freud aux États Unis sur invitation de Granville Stanley Hall professeur de psychologie et président de la Clark University.
Rang du bas (assis), de gauche à droite : Sigmund Freud; Granville Stanley Hall – président de Clark University et organisateur de la réunion ; Carl Gustav Jung 
Rang du haut (debout), de gauche à droite : Abraham A. Brill – traducteur pionnier des travaux de Freud en anglais; Ernest Jones – psychanalyste britannique et plus tard biographe officiel de Freud; Sándor Ferenczi – psychanalyste hongrois, 
Parlons de Carl Gustave Jung (1875-1961) : il était considéré par Freud comme son fils spirituel. Leur première rencontre date de mars 1907, Jung raconte cette rencontre dans son autobiographie (Ma vie) et les prémices de leurs désaccords sur la théorie sexuelle : Jung avançant plutôt l’importance de la spiritualité dans l’évolution des sociétés. Leurs opinions divergent aussi sur la notion d’inconscient collectif que Jung commence à élaborer. A partir 1909 Jung  commence à se détacher de la figure paternelle que Freud représente. La dégradation de leur relation s’intensifie en 1911, Freud reprochant alors à Jung de trop s’appuyer sur des sources mythologiques ou religieuses. La rupture est consommée en 1914. La psychanalyse d’aujourd’hui doit à Jung outre les notions d’inconscient collectif et d’archétypes, celles d’anima et d’animus, de persona et de soi et de synchronicité .. Il reste toujours aujourd’hui des controverses sur l’attitude de Jung lors de l’accession au pouvoir de Hitler et sur son antisémitisme supposé, l’intéressé s’en étant toujours défendu. Pourtant sa théorie sur le peuple allemand n’est pas sans intérêt, je le cite : le peuple allemand était traversé par un attribut fondamental du psychisme allemand, un facteur psychique irrationnel qui agit sur la haute pression de la civilisation comme un cyclone et la souffle au loin, ce facteur psychique étant pour Jung une résurgence d’un Dieu mythique allemand Wodhanaz, le Dieu de la Tempête, le Vagabond, le Guerrier, le Seigneur des Morts, le Maître de la Connaissance Secrète, le Magicien et le Dieu des Poètes, résurgence travaillée par un ensemble culturel et civilisationnel prônant la prédominance germanique, en quelque sorte le Thanatos de Freud.
On pourrait sans doute personnifier le lien entre les deux hommes par la figure de Sabina Spielrein, une jeune juive russe analysée par Jung et Freud, que Jung poussera à faire des études de médecine et à devenir psychanalyste. Aujourd’hui il semblerait plus judicieux de faire abstraction des conflits de personnes et de considérer l’apport de Freud et Jung dans leur globalité. La psychanalyse s’est enrichie des concepts des deux et à tout prendre plus que de divergences on pourrait plutôt parler de complémentarité voir de convergences puisque Freud s’est également intéressé aux mythes fondateurs des civilisations et des religions travers des ouvrages comme « totem et tabou » ou « Moïse et le monothéisme », et la notion de soi étant parfaitement compatible avec les trois topiques de Freud : moi, ça et surmoi. La divergence principale se situant dans le fait que l’un, Freud, se revendiquait athée et l’autre, Jung considérait l’image de Dieu ... comme un reflet du soi ou inversement voyait dans le soi une imago dei in homine (image de Dieu dans l’homme.)

J’ai des échanges épistolaires avec la famille Jung et finalement le 21 mars 2017 je me rends sur les bords du lac d’Obersee pour rencontrer Hans Hoerni le fils de Hélène Hoerni une des quatre filles de Jung
La tour n’est pas ouverte aux visiteurs toute l’année, on peut trouver sur internet de nombreux récits relatant le « pèlerinage » de psychanalystes renommées sur les pas de CGJ en partant de Küsnacht à Bolligen et en passant par la maison de Marie Louise Von Franz, son alter ego féminin ou sa maitresse selon les gazettes. Pour reprendre les mots de Jung : mots et papiers n’avaient pas assez de réalité   il me fallait respirer l’air qui l’avait inspiré, il me fallait sentir les esprits autour de la tour. Au fond les lectures de l’œuvre de Jung ne me suffisaient plus, il me fallait voir sur place. 
Quelle est l’histoire de cette tour ? CGJ achète un terrain en 1922 au bord de l’Obersee. Sa première idée était de construire une hutte africaine avec un foyer au milieu, une sorte de totalité primitive de la cellule familiale. En 1923 deux mois après la mort de sa mère, l’idée se transforme pour se concrétiser en une tour ronde en pierre de deux étages, un prolongement advint puis une autre tour où il y plaça une pièce ronde, décorée de peintures : sa pièce dont lui seul possédait la clé, un lieu de méditation et de pratique du yoga dans ses moments de troubles. Il construit ensuite un enclos avec un mur bloquant la vue sur le lac.
A mon arrivée sur le  quai de la gare de Schmerikon Hans me fait des grands signes, il va m’emmener à la Tour dans sa vieille Toyota qui roule lentement sur la petite route parallèle au lac, au chemin pédestre et aux rails du chemin de fer. Le bâtiment apparait derrière de grands arbres sur un fond de ciel bleu parsemé de nuages blancs se mêlant à la montagne. La Tour ressemble plus à un petit château du moyen âge qu’à une construction du vingtième siècle. Hans est musicien et ne connait rien à la psychanalyse, me dit-il, il avait seize ans quand son grand père est décédé. Il se souvient d’un vieil homme tranquille, taiseux qui désirait toujours avoir ses enfants et petits-enfants près de lui, même s’il échangeait peu avec eux. Il se souvient être rentré une seule fois dans la pièce de Jung dans la deuxième tour.
Pour initier la visite Hans me montre les photos des phases de construction : en premier la tour elle-même puis une extension sur le côté droit, ensuite une deuxième tour et en dernier en surplomb, un bâtiment de jonction entre les deux tours pour accueillir les membres de la famille. Il n’y a pas de musée dans ces lieux, les volontés de Jung sont respectées à la lettre : Tout doit rester en l’état, rien ne doit être modifié. La famille s’occupe d’entretenir les lieux sans rien y changer et y vient séjourner aux beaux jours, pendant les vacances. Le monde entier vient en une sorte de pèlerinage, parfois en un voyage de remerciements à l’homme qui leur a redonné goût à la vie, grâce à ses méthodes ; parfois des analystes viennent à la source de leur savoir.
Mais pour cette visite je suis seul avec Hans avec  sa simplicité, sa gentillesse et son français malhabile mais tout de même compréhensible. 
Nous pénétrons dans le mini château par une petite ouverture en forme d’ogive. La porte en bois franchie, nous accédons à une courette, sur la droite en se retournant, j’y vois gravée la date de construction :1935. Le regard immédiatement est attiré par deux sculptures gravées à une date postérieure ; Hans me précise que je peux prendre des photos de l’extérieur mais pas de l’intérieur de la tour. 



Nous pénétrons dans le mini château par une petite ouverture en forme d’ogive. La porte en bois franchie, nous accédons à une courette.


A l’entrée gravée dans la pierre, un petit autel dressé sur un petit promontoire, caressé par quelques fleurs naissantes du premier jour du printemps : une sculpture en hommage à Emma Jung décédée en 1955 avec une épitaphe en latin : 

Oh ! vase merveilleux, de dévouement
Et    obéissance Aux esprits ancestraux
Et à l'esprit de ma bien-aimée et loyale épouse, Emma Maria. Elle acheva sa vie.
Après sa souffrance et sa  mort
On déplora sa perte.
Elle passa dans le secret de l'éternité
En l'année 1955 à l’âge de 73 ans

Un mini temple aux deux colonnes qui pourraient être les deux piliers du conscient et de l’inconscient d’Emma ! à l’intérieur d’un triangle, une vasque, d’où surgit un cercle de la totalité de la douce épouse, fidèle et gardienne de la demeure familiale, le creuset qui permit à CGJ de voyager vers ses profondeurs, l’équilibre qui le laissait seul avec lui-même et son ombre. Emma la psychanalyste qu’elle devint, trouva l’harmonie entre le soleil, son animus, son moi sa conscience et la lune son anima, son imagination active, son inconscient. Le poète Jung dans la langue de Virgile a rendu hommage à l’être bien aimée. 
Au bas de cette stèle, sur la gauche, un serpent sculpté par CGJ en l’année 1936 soit juste après la construction de l’enclos ouvert, on peut y lire :

Ayant dévoré un poisson démesurément grand
Le serpent suffoqua
Ainsi tous les deux moururent en même temps
En témoignage du fait que la messe (chrétienne)
Et l’œuvre (alchimique)
Sont pareilles et quand même non pareilles
Car leur mort est un événement
Qui coïncident et correspond à mes pensées
Pour rappeler le souvenir de cet événement
Moi, CG. Jung ai posé cette pierre dans l’année 1936

Jung y a gravé comme un résumé de son travail sur l’alchimie et son rapport avec l’Église, deux oppositions qui à ses yeux se conciliaient parfaitement contrairement aux dogmes de Rome. Je ne peux que penser à ce rêve qui le troubla dans sa jeunesse, je cite : « Je rassemblai tout mon courage, comme si j’avais eu à sauter dans le feu des enfers, et je laissai émerger l’idée : devant mes yeux se dresse la belle cathédrale et au-dessus d’elle le ciel bleu ; Dieu est assis sur son trône d’or très au-dessus du monde et de dessous le trône un énorme excrément tombe sur le toit neuf et chatoyant de l’église ; il le met en pièces et fait éclater les murs. » 
Sa conception de Dieu et de l’image de Dieu ne correspondait pas à ce que son père, pasteur lui avait transmis car c’est du sacré en soi que doit venir le salut, c’est la libération des excréments qui pourrait faire exploser les dogmes. Le poisson sacré à l’aise dans l’eau de l’inconscient, le symbole des forces vives de l’esprit est avalé par le serpent, celui-là même qui était présent dans les souterrains des temples grecs ou avaient lieu les mystères initiatiques ; c’est par l’initiation que l’homme dans sa transformation alchimique pourra faire s’étouffer les dogmes venus de l’extérieur et pourra se recréer. 


Comment ! tu construis ici ? mais il y a des cadavres !  Nous sommes en 1923, c’est la fille de C.G.J. qui s’exprime ainsi lors du début de la construction de Bollingen. En effet quelques années plus tard un cadavre est déterré, il s’agit d’un soldat français de la Révolution qui en 1799 se noya dans la Linth… Jung lui organisa des funérailles et posa une pierre tombale avec une inscription en hommage au défunt. 
Je ne pensais pas me recueillir devant la tombe d’un soldat de la Révolution française échoué sur les bords d’un paisible lac suisse, les lumières de la liberté venant éclairer les forces obscures qui ont hanté C.G.J. dont le nom est souvent étouffé dans les cercles freudiens si dogmatiques parfois.


Je pénètre avec Hans dans la première tour, celle de l’origine. A gauche de l’entrée sur le fronton de la porte est gravé la même devise qui figure dans la maison de C.G. Jung au 228, Seestrasse à Küsnacht : « Appelé ou non appelé, Dieu sera présent »
Le blason de la famille est aussi gravé sur le mur, Jung explique qu’à l’origine la famille avait un phénix comme animal héraldique mais son grand père a modifié ce blason en y supprimant le phénix et en introduisant entre une croix bleue et une grappe bleue sur champ d’or, une étoile d’or ; cette fâcheuse symbolique, est franc maçonne ou rosicrucienne   écrit Jung. 
Nous pénétrons dans la tour d’origine : Une table en bois au centre au-dessus de laquelle pend une lampe à pétrole, autour quatre chaises. Le sol est constitué de vieilles pierres posées de façon irrégulière. Une cheminée dont l’âtre ne chauffait jamais la pièce à plus de quinze degrés. Des outils soigneusement accrochés aux murs de pierre avec leur contours dessinés à leur emplacement. Pas d’eau courante, pas d’électricité. Un escalier de pierre étroit, pentu et dangereux mène à la chambre des Jung, pas de rampe, juste une corde pend du plafond pour s’y accrocher et ne pas tomber ; les marches sont hautes. Hans me confirme que jusqu’à un âge avancé Emma Maria et Carl Gustave ont gravi ces hautes marches, risquant à chaque instant de se briser les os. La pièce du haut est interdite aux étrangers et j’en suis. Des petits orifices laissent passer un léger brin de lumière, l’atmosphère est froide et silencieuse sauf quand des groupes de visiteurs chinois arrivent me dit Hans, craignant alors des vols. La visite continue, nous pénétrons dans une deuxième pièce, celle de l’arbre généalogique de la famille. Les  phrases de Jung résonnent à la vue des membres de sa famille : « j’ai très fortement le sentiment d’être sous l’influence de choses et de problèmes qui furent laissées incomplets et sans réponse par mes parents, mes grands-parents et mes autres ancêtres…J’ai toujours pensé que, moi aussi, j’avais à répondre à des questions que le destin avait déjà posées à mes ancêtres »   Nous sortons, nous sommes dans la cour qui ne s’ouvre que vers le ciel, cernée par un mur qui clos la vue sur le lac, contrairement aux maisons modernes toutes orientés vers les eaux me dit Hans. La cour est  ouverte au ciel et à la nature. Je jette un regard vers la deuxième tour à la droite des parties réservées à la famille, là est la pièce de Jung, celle qui lui était personnelle, là où il méditait, pratiquait le yoga pour évacuer les tourments de son âme. Hans n’y a pénétré qu’une seule fois et elle reste à jamais fermée.





Nous nous dirigeons vers la droite, passons une deuxième arche et la pierre apparaît, coiffée d’un toit de métal pour la protéger des intempéries. Dans son autobiographie C.G.J. raconte l’arrivée des pierres destinées à construire le mur de séparation entre la cour et le lac, alors que le maçon pestait contre ceux qui avaient amené les pierres par bateau depuis l’autre rive du lac, celles-ci n’étant pas dans les dimensions et formes commandées, alors qu’il ordonnait qu’elles fussent rembarquées pour revenir dans leur carrière initiale, CGJ l’arrêta, lui intima de garder l’une d’entre elle : « c’est ma pierre … Je devais, disait-il représenter dans la pierre mes pensées les plus intimes et mon propre savoir, faire en sorte une profession de foi inscrite dans la pierre . »
L’œuvre gravée de Jung est mystérieuse, Il est difficile de trouver dans ses écrits des explications, pour comprendre ou pour tenter de percer les symboles, il convient sans doute de suivre alors ses instructions : « Prenez une chaise, asseyez-vous et ressentez ce que la pierre fait en vous ! » 
J’ai donc suivi ses instructions, je n’ai pas trouvé de chaise, je me suis assis en tailleur, j’ai fait le vide en moi, j’ai écouté le souffle parcourir mon corps, me suis laisser bercer par le doux clapotis de l’eau sur les cailloux, me suis tourné vers la Pierre et son côté face au lac. 


Sur une face En grec y est gravé :

Je suis un orphelin seul pourtant on me trouve partout
Je suis un, indivisible, mais opposé à moi
Je suis à la fois jeune homme et vieillard
Je n’ai connu ni père, ni mère
Parce que on doit me tirer de la profondeur, comme un poisson.
Ou parce que je tombe du ciel comme une pierre blanche
Je vague à travers les bois et les montagnes mais je suis caché dans l’intime de l’homme
Je suis mortel pour tout le monde pourtant la mutation des temps ne m’effleure pas  

Dans ses carnets personnels Jung écrit :« je suis d’un grand âge, je suis d’ici et d’ailleurs, je suis mort et vivant, je suis en perpétuel devenir, un éternel va et vient entre le dehors et le dedans. » Le côté face à l’entrée n’en ai pas moins mystérieux dans ces dessins et écrits :

Le temps est un enfant
Qui joue comme un gamin
Penché sur un jeu de table,
Le royaume de l’enfant
C’est Telesfore qui vague
A travers les régions obscures du cosmos
Et qui pareil à une étoile
Resplendit des profondeurs.
Il montre le chemin vers les portes du soleil
Et vers le pays des rêves

Un enfant dans un cercle, un regard d’enfant qui voit Jung au soir de sa vie et Telesforo, le dieu de convalescence, considéré aussi comme dieu guérisseur en Asie Mineure fait l’union entre le passé et le présent et fait dire à Jung : « C'est souvent la perte de relation avec le passé, la perte de racines, qui crée un tel malaise dans la civilisation…, la hâte qui nous fait vivre plus longtemps dans le futur, avec ses promesses chimériques d'âge d'or, que dans le présent…Moins nous comprenons ce que recherchaient nos parents et nos grands-parents, moins nous nous comprenons nous-mêmes »  fin de citation. Nous sommes une conjonction entre le passé et le présent, un être issu de notre propre exil, de notre errance dans les profondeurs de notre âme. Le quaternaire inscrit dans un cercle avec cette éternelle dualité entre le masculin et le féminin, le soleil et la lune et au centre l’enfant que nous avons perdu et qui nous guide toute notre vie, cette enfance à retrouver dans son stade initial d’écoute de l’autre et du monde environnant. 

Et puis la face amont de la pierre se découvre dans sa lecture :

Ici se trouve la pierre ordinaire mais, quand aux prix pas chers.
Les ignorants la méprisent, d’autant plus les savants l’admirent.
Pour se rappeler ses soixante quinzièmes anniversaires
C.G. Jung l’a faite avec gratitude et l’a posé ici en l’an 1950

Ici il y a soixante-huit ans a œuvré un tailleur de pierre, Il a marqué de sa taille ce lieu, il a laissé au regard des curieux le soin de lire, d’interpréter le fond de son âme, le fond de la nôtre. La pierre que l’on pose sur les tombes pour nous rappeler notre finitude par rapport à l’éternité, celle que l’on superpose en cairn sur les chemins de montagne pour marquer son passage, celle qui nous parle des pas des autres et qui nous relie à eux, celle que les eaux de l’inconscient érodent dans un va et vient de marées sous l’influence de la lune. Le dos de la pierre est vierge de taille, Jung écrit qu’il avait l’intention de de graver le cri de Merlin sortant de la forêt alors qu’il était disparu du monde. Perceval est le héros chrétien et Merlin, fils du diable et d’une vierge pure, est son frère obscur. 
Ce frère obscur fils des enfers et de la pureté, ce double nous habite, nous fait des tours et des détours, l’admettre, le reconnaître pour mieux être avec, car l’oublier, le mésestimer ou l’ignorer est impossible.



Je m’en suis retourné vers la cour, me suis assis près de la cheminée extérieure sur le banc et j’ai couché sur le papier ces quelques impressions ; le mur m’occultait la vue du lac et j’étais dans ce carré que formait l’espace clos. J’étais exactement assis à la place de son grand père me dit Hans qui me rejoignit avec sa compagne pour se restaurer après la coupe de bois des arbres jonchant le sol à la suite de la tempête de la veille. La conjonction des symboles et la simplicité des hôtes contrastaient. Je prenais congé et refaisait à pied le chemin vers la gare, m’arrêtant de temps à autre pour regarder le lac et les belles montagnes suisses.
Voilà retour sur la réalité de Tel Aviv et d'Israel après encore une nuit hachée par les alertes. Je vous embrasse tous. 
עם ישראל חי









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